Beethoven est né à Bonn (Allemagne) il y a 250 ans. Cette année est donc l’occasion de célébrer ce compositeur, précurseur du romantisme, qui aura marqué son époque, laissant un héritage bien vivant aujourd’hui.
On croit peut-être tout savoir de Ludwig Van Beethoven. Et de fait, qu’est-ce qui n’a pas été dit au sujet de ce compositeur exceptionnel ? N’a-t-on pas raconté mille fois sa surdité et la composition de sa célébrissime neuvième symphonie, qu’il n’a jamais entendue, bien qu’il ait été présent lors de la première représentation ?
Mais au-delà de l’anecdote, il faut surtout parler de l’empreinte qu’il a durablement laissée. Sur la musique, d’abord, car il est celui qui représente le passage du style classique au style romantique : héritier de Mozart et de Haydn, il a ouvert la voie à Schubert, Chopin, Schumann, ou encore Berlioz, Liszt, Brahms…
C’est en effet en cassant les codes de la composition classique que Beethoven a largement contribué à créer une nouvelle façon d’écrire la musique. Jamais on n’avait entendu des symphonies aussi longues : près d’une heure pour la 3e Symphonie dite Symphonie Héroïque, encore plus pour la 9e. Jamais non plus on n’avait entendu un chœur dans une symphonie, avant « la Neuvième ». Pour Estebán Buch, il y a là une véritable « transformation du genre symphonique ». Quant aux aspirations à l’héroïsme de Beethoven, elles ont fortement teinté ses compositions, même si, on l’oublie parfois, il a aussi écrit des pièces beaucoup plus intimistes. Au final, que l’on aime ou pas ses œuvres, force est de reconnaître que Beethoven a puissamment marqué l’histoire de la musique.
La musique dans le champ du politique
Mais autant de révolutions dans la composition ne pouvaient que déborder et, dépassant le seul domaine de la musique, imprimer leur marque sur l’Histoire tout court. En l’occurrence, c’est dans le domaine politique que l’on retrouve Beethoven, sa musique en général et la 9e Symphonie en particulier. Et ce n’est pas un hasard.
Dès 1792, Beethoven a été fasciné par les paroles d’unité et de fraternité humaine du poème de Schiller. Il lui faudra ensuite plusieurs décennies pour le mettre en musique dans l’Ode à la joie, que l’on entend dans le dernier mouvement de la 9e Symphonie. Une œuvre d’un style aussi profondément nouveau ne pouvait que marquer les esprits. Si l’on ajoute que Beethoven a volontairement cherché une mélodie qui évoque un hymne, toutes les conditions étaient réunies pour que le politique s’en empare. Déjà, pendant la vie de Beethoven (fin du 18e siècle et début du 19e), des sentiments nationaux très forts ont progressivement émergé dans toute l’Europe. Mais il y a eu une montée en puissance en 1870, moment où ont commencé à être faites des « lectures nationalistes » de l’œuvre de Beethoven, tout à la fois grand compositeur allemand et créateur d’une œuvre célébrant des valeurs supposées universelles. « Au-delà de toutes les différences politiques, les nationalistes de tous les pays et les apôtres de la charité (…) se retrouvent à l’unisson dans une 9e Symphonie devenue le fétiche musical de la métaphysique occidentale », écrit Estebán Buch dans son ouvrage, La Neuvième de Beethoven – Une histoire politique.
La « Neuvième », un symbole à l’histoire complexe
Pendant la première guerre mondiale, les alliés tentent de « confisquer » l’Ode à la joie, alors même que Beethoven est « enrôlé » dans les armées des deux côtés du front jusqu’à ce que, les combats faisant rage, de plus en plus de voix s’élèvent pour dire que le compositeur méritait mieux que de veiller sur un massacre.
Dans les années 1930, c’est par le nazisme qu’est récupérée la 9e Symphonie. Même si les paroles universalistes, gênantes dans l’idéologie du régime, ont été quelque peu éludées, l’héroïsme musical de l’œuvre a également servi de légitimation au dogme raciste du 3e Reich et était une des œuvres les plus jouées en Allemagne en 1941 – 1942. Ici encore, la musique de Beethoven a été récupérée par les deux camps puisqu’elle était aussi jouée dans la France occupée, tandis que le début de la 5e symphonie servait d’indicatif à la France libre… mais était également jouée dans les camps nazis. « Pendant la guerre, Beethoven a été joué dans les deux camps jusqu’à l’indigestion », souligne Estebán Buch.
Après la chute du mur de Berlin, cette même « Neuvième » sert à nouveau de symbole lorsqu’elle est dirigée par Léonard Bernstein à Berlin, avec des musiciens des deux Allemagne et des quatre puissances alliées. Enfin, c’est au début des années 1970 qu’émerge l’idée d’utiliser l’Ode à la joie pour constituer un hymne européen, ce qui n’est pas, non plus, sans créer de nombreux problèmes. Tandis que certains présidents de la République (François Mitterrand, Emmanuel Macron) récupèrent sa figure héroïque au moment de célébrer leur victoire, dans des mises en scène quelque peu « jupitériennes ».
Ainsi, depuis près de deux siècles, la Neuvième Symphonie est tout autant devenue « le symbole de la musique dans la vie politique que celui du politique dans l’art musical », souligne Estebán Buch.
- Ecouter la Neuvième symphonie dirigée par Léonard Bernstein en 1989 à Berlin.
Dans ce dossier :
- Un panorama pour retrouver les grandes étapes de la vie de Beethoven, avec des repères historiques
- Une interview d’Estebán Buch, musicologue, spécialiste de Beethoven
- Un focus sur l’hymne européen, « un scandale à plusieurs étages »
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En savoir plus
- Estebán Buch, La Neuvième de Beethoven . Une histoire politique, Gallimard, 1999
- Les biographies de Beethoven ne manquent pas, de nombreux auteurs s’étant intéressés à ce compositeur. Parmi eux, on peut citer Patrick Favre-Tissot-Bonvoisin, Elisabeth Brisson, Brigitte et Jean Massin, Edmond Buchet ou encore Maynard Solomon.
- Pour lire la tribune d’Estebán Buch au sujet de l’hymne européen : L’hymne qui sent le soufre, publication en ligne, Le Monde, le 2 mai 2009.