L’atelier d’un luthier est un lieu qui sent bon l’huile de lin et le bois. Il est tentant de s’y asseoir pour bavarder avec le ou la propriétaire des lieux, en regardant ses mains au travail. Patient et minutieux, le geste transforme une pièce de bois en instrument de musique. Dans leur atelier respectif, Gaëlle Touchet et David Deroy parlent de leur métier.

Fabriquer des instruments de musique, c’est être en contact avec la musique et avec le bois. Pour Gaëlle Touchet, après son bac et sa formation musicale, il était impensable de quitter la musique. Mais elle n’envisageait pas pour autant de devenir musicienne professionnelle. Par ailleurs, après le décès de son parrain, ébéniste de profession, elle souhaitait reprendre le flambeau du bois. Ce métier, qui permettait de concilier les deux, était physiquement attirant pour elle. Le choix d’être luthière de quatuor, pour cette clarinettiste, est surtout dû à la pression exercée par la concurrence dans le secteur des instruments à vent, qui l’a poussée ailleurs.

David Deroy, quant à lui, cherchait un métier dont on n’a jamais fait le tour, où on ne s’ennuie jamais. Lui, c’est surtout par le bois qu’il est arrivé à cette profession. C’est l’aboutissement ultime, de transformer une planche en instrument de musique. Ce n’est en effet pas d’un simple objet qu’il s’agit, parce qu’il y a la sonorité. Elle reste un mystère, une quête, qui pousse à avancer.

Un long apprentissage

Si le métier fait rêver, il n’est pas si facile d’y parvenir. Il y a peu de place dans les écoles, il faut faire preuve d’une motivation sans faille et avoir un très bon dossier scolaire. A l’époque où Gaëlle et David ont fait leurs études respectives, l’entrée à l’école de Mirecourt se faisait obligatoirement après le collège. C’est pourquoi Gaëlle s’est dirigée vers Newark, en Grande Bretagne.

Il faut passer par de nombreuses années d’apprentissage, d’abord pendant la formation, puis en travaillant comme assistant d’un luthier expérimenté pour se perfectionner. Il faut aussi avoir envie de voyager, dit David Deroy, pour aller faire son expérience dans d’autres pays. S’installer dès la sortie de l’école n’est pas une bonne idée.

Pour Gaëlle, cette période où on sort de l’école est un moment où on a la vie devant soi. En travaillant chez un luthier renommé, elle a eu la chance d’être invitée partout par la clientèle, de voir des concerts, de rencontrer des musiciens, du novice au virtuose. Cela permet de voir la réalité.

Si le luthier sait tout ou presque sur le bois qu’il utilise, il n’est pas toujours violoniste. Pendant sa formation, il apprend à jouer du violon pour tester la sonorité mais pas forcément pour jouer. Mieux on joue, mieux c’est, raconte Gaëlle, à condition de ne pas le faire en cherchant à compenser des défauts éventuels, sinon c’est biaisé. Mais sans jouer, c’est possible quand même. Dans ce cas, on cherche la transmission intellectuelle. David, quant à lui, dit jouer du violon « comme un luthier ». Et dans sa pratique personnelle, il préfère la musique traditionnelle au classique.

Un violon adapté au musicien

Même pour un débutant, il est important d’avoir un bon instrument. Alors qu’il est aujourd’hui possible d’acheter un violon pour 100 € sur internet, David regrette de voir dans son atelier trop de jeunes découragés par les difficultés que cause un instrument inadapté. C’est pourquoi, parmi ses objectifs, il y a aussi celui de transmettre « la culture de l’instrument » aux musiciens avec lesquels il travaille. C’est normal de ne pas dépenser plusieurs milliers d’euros pour un enfant qui arrêtera peut-être après une année de pratique. Mais mieux vaut en louer un bon chez un luthier que d’en acheter un pas cher. On a plus de chances qu’il s’accroche.

Le vernissage, une étape clé de la fabrication, qui protège l’instrument et transforme la couleur claire de l’épicéa en ce bel ambré caractéristique.

 

Dans son atelier, un luthier « généraliste », qui répare autant qu’il fabrique, voit passer tous les instrumentistes, du débutant au professionnel aguerri, et il doit arriver à se mettre au niveau de chacun. « Les possibilités de réglage sont infinies », dit Gaëlle. Il faut pour cela communiquer avec le client, pour savoir comment adapter l’instrument à ses besoins, d’autant que le « bon réglage » change aussi en fonction des périodes de sa vie. Pour autant, il faut garder une certaine distance, ajoute-t-elle. On règle le problème du violon, pas la psychologie du musicien, même si on doit composer avec son angoisse… C’est le volet humain, un peu moins connu, du métier.

Réparer, fabriquer

Gaëlle fabrique peu car sa clientèle l’amène plutôt à entretenir ou réparer. Ce n’est pas difficile de fabriquer un violon, dit-elle. Ce qui est difficile, c’est de fabriquer un bon violon, car cela se joue au dixième de millimètre. David s’est pour sa part associé avec une collègue spécialisée dans la restauration, ce qui lui permet de se libérer du temps pour fabriquer. Il lui faut environ 150 heures, étalées sur 3 mois, pour fabriquer un instrument. Plus que des célèbres Stradivarius, il préfère s’inspirer des Guarnerius, des violons fabriqués par Joseph Guarneri au 18e siècle. Un peu plus « sombres », donnant la priorité absolue à la qualité du son, les Guarnerius sont appréciés dans le monde entier. Paganini ou Menuhin, par exemple, ont joué sur des violons de ce modèle. Quand on fait une copie, il faut comprendre l’esprit de son créateur, comprendre pourquoi il sonne bien, et ensuite, mettre sa touche personnelle, explique-t-il.

Les luthiers ne manquent pas.

Contrairement à ce que suggère une idée assez répandue, il y a de nombreux professionnels du quatuor à cordes (violons, altos et violoncelles). Il y a eu une pénurie après la guerre, raconte David Deroy. Depuis la création de l’école de Mirecourt, en 1970, par Etienne Vatelot, ce sont 7 à 10 jeunes qui sont diplômés chaque année, auxquels s’ajoutent ceux qui ont fréquenté une école à l’étranger, Newark en Grande-Bretagne, Crémone, Parme ou Milan en Italie, Mittenwald en Allemagne… Chaque année, de nouveaux luthiers entreprennent donc de s’installer, alors que par ailleurs, les premiers qui ont été formés à Mirecourt ne sont pas encore à la retraite. Il n’y a donc pas encore de roulement. La conséquence, c’est que certains jeunes, qui peinent à trouver un premier emploi chez un luthier expérimenté pour se perfectionner, s’installent un peu trop tôt et pas forcément au bon endroit.

Si le nombre des professionnels est presque trop important dans certaines zones, il permet en revanche une confraternité. On en a fini avec la culture du secret, dit David Deroy. On s’échange plutôt des techniques, des recettes, des informations… Et c’est une bonne chose.

 

 

Gaëlle Touchet
Gaëlle obtient un Bac A3 (lettres et musique) à Grenoble (Isère). Parallèlement, elle a étudié la clarinette au conservatoire. Après son Bac, elle est reçue à l’école de lutherie de Newark, en Grande-Bretagne, où elle fait ses études pendant 4 ans.
Diplôme en poche, elle part en Allemagne, où elle travaille chez un super luthier pendant 4 ans. Ensuite, elle part à Lyon chez le célèbre luthier Jean-Frédéric Schmitt pendant un an. Elle s’installe ensuite à Lorient (Morbihan), en 2006. Son site : gaelletouchet.com

 

David Deroy
David décide d’apprendre la lutherie vers l’âge de 15 ans. Il réussit alors la difficile épreuve d’entrée à l’école de Mirecourt, dans les Vosges. Après 3 années d’études, il est embauché par le luthier angevin Jacques Bauer, chez qui il passe 2 ans. Il se tourne ensuite vers la Grande Bretagne, par envie d’apprendre l’anglais. Il passe un an dans l’atelier londonien Morris & Smith. A l’issue de son contrat, il part 5 ans à Bruxelles, où il travaille au sein de la maison Bernard. Enfin, il envisage de s’associer avec un autre ancien de Mirecourt, à Saintes (Charente-Maritime), où il passe un an, pour finalement se décider à s’installer à Vannes (Morbihan) en 2004. Son site : deroy-luthier.com