Ce mois-ci, c’est Eliott, jeune choriste d’un ensemble vocal amateur, qui pose la question suivante : Comment entendre ma propre voix au sein du groupe ? Comment puis-je gérer au mieux le rapport entre ma voix et celle des autres chanteurs ?

Réponse de Roland Vendroux, pianiste, compositeur et chef de chœur (enfants et adultes) au conservatoire de Lorient.

Roland Vendroux, pianiste, compositeur et chef de chœur.

Eliott pose la question très importante de l’écoute. L’écoute de soi-même, l’écoute des autres, et surtout, la manière de construire une écoute équilibrée entre la conscience du son du groupe et la conscience de son timbre personnel.

C’est une question particulièrement complexe. D’une part parce qu’un chanteur n’entend pas la même chose que ce que l’auditeur entend. Il s’entend à la fois de l’extérieur (ce que j’appelle l’écoute « aérienne ») et de l’intérieur (ce que j’appelle l’écoute « osseuse »). Ce décalage de perceptions peut être source de difficultés : en tant que chanteur, on ne peut pas pleinement se fier à ce qu’on entend.

En outre, lorsqu’on se trouve dans un chœur, on ne perçoit pas non plus la même chose que les spectateurs. Et même, la perception peut changer en fonction de la place que l’on occupe dans le groupe. Pour le choriste, il y a donc, finalement, une difficulté « au carré » : ce qu’il entend est différent de ce que les autres entendent. Il est donc difficile de se rendre compte de ce qui « fonctionne » ou pas.

Enfin, on peut parfois être dans une situation où on ne s’entend pas parce qu’on entend les autres plus fort que soi-même ou, à l’inverse, avoir la sensation que l’on n’entend que soi, parce qu’on perçoit mal les autres. Il ne faut pas s’en sentir responsable ; c’est essentiellement un problème d’acoustique du lieu dans lequel on se trouve.

Trouver sa voix avec celle des autres

En m’adressant à un choriste, la première réponse que je pourrais donner à cette question est que, quelles que soient les sensations que l’on a, il ne faut pas chercher à régler les problèmes en chantant fort. Il ne faut pas non plus se retenir de chanter. C’est plutôt une question d’intensité et d’engagement, qui n’a rien à voir avec les décibels.
Ce qui est important, c’est d’être actif, c’est-à-dire d’être dans l’écoute et dans la proposition. Concrètement, cela implique d’avoir conscience de ce que l’on fait, d’être précis dans la diction du texte. Etre attentif à ses sensations physiques, se concentrer sur ce qu’on ressent à l’intérieur, comment « ça vibre ». Et pour ceux qui ont l’occasion de chanter aussi en soliste, se rappeler que les sensations et les points de repère sont différents quand on chante en chœur.

L’importance du lieu

Il y a aussi des choses qui ne dépendent pas de nous. Le lieu et la disposition des choristes, en particulier, ont une grande importance. On peut considérer que les salles dans lesquelles nous sommes amenés à chanter, qu’il s’agisse d’une église ou d’une salle de concert moderne, sont des instruments de musique à part entière. C’est d’ailleurs un fait qui, autrefois, était totalement pris en compte dans l’architecture des édifices religieux. A une époque où les micros et amplis n’existaient pas, on concevait les églises et les cathédrales comme des amplificateurs vocaux. A tel point que l’évolution de l’architecture a provoqué des évolutions dans la manière de chanter. Ainsi, il arrive que, dans un nouveau lieu, on soit amené à changer la disposition habituelle du chœur pour tenir compte des caractéristiques acoustiques du lieu. La manière dont le chœur s’implante est importante.

Un travail au sein du groupe

Quant à la question de l’écoute, elle se travaille essentiellement au sein du groupe. De mon point de vue, on peut penser la répétition comme un moment d’expérimentation. C’est pourquoi je propose souvent aux groupes que je conduis de travailler en variant la répartition dans l’espace. Mélanger les pupitres, faire des déplacements, disposer les choristes en cercles orientés vers l’intérieur, puis vers l’extérieur… Répéter « en quatuor », c’est-à-dire en groupe de 4 personnes comportant une alto, une soprano, un ténor et une basse, peut aussi être un exercice intéressant. Si le groupe se prête volontiers à l’exercice, cela peut devenir un véritable jeu. Et cela permet de créer plusieurs situations d’écoute. Même si en concert, on reprend la disposition traditionnelle, qui est rassurante, ces exercices auront permis à chacune et à chacun d’entendre les voix des autres et donc de trouver une place parmi elles. Pour cela, il faut tout à la fois s’entendre soi-même, entendre les autres, avoir une image du son du groupe et de sa propre voix à l’intérieur.

Chanter en chœur permet d’apprendre des choses dans l’instant, cela invite à un travail sur soi, éventuellement complémentaire du travail soliste. Et une partie du travail nécessaire à ce processus doit être proposé par le chef de chœur. Celui-ci doit d’abord écouter, accueillir les voix et le son du groupe. Il me semble important de créer une situation favorable à chacun et à l’ensemble. En allemand, chef de chœur se dit chorleitungn, littéralement « conducteur de chœur ». Le mot « conduire » est ici à entendre dans le sens de donner la direction, d’impulser un mouvement et on est loin de l’idée de diriger au sens d’un acte autoritaire, qui instaure un rapport hiérarchique. C’est de cette manière que je préfère envisager mon rôle et c’est dans cette idée que je fais des propositions d’exercice aux choristes pendant les répétitions.