Aujourd’hui, c’est Jules, 13 ans, choriste amateur, qui pose une question pour le courrier du chœur : « Je chante dans une chorale depuis plusieurs années et j’adore ça. Mais ma voix est en train de muer et je ne sais pas comment gérer cela. »

Christophe Le Marec, professeur d’éducation musicale au collège Jules Simon à Vannes (Morbihan), responsable des classes à horaires aménagés en musique, chanteur et chef de chœur. (Photo : collection personnelle)

Réponse de Christophe Le Marec, professeur d’éducation musicale au collège Jules Simon à Vannes (Morbihan), responsable des classes à horaires aménagés en musique, chanteur et chef de chœur.

Cette question est courante ; presque tous les garçons chanteurs se la posent un jour. Il est possible de faire une réponse générale, qui pourra ensuite être déclinée sur le plan personnel en fonction de la situation et de la personnalité de chacun.

Avant tout, je tiens à dire qu’il faut dédramatiser. La mue est un processus normal, naturel et certainement pas une maladie. C’est une des étapes de la puberté, qui mène vers l’âge adulte. Concrètement, les cordes vocales s’épaississent, sous l’action des hormones. Elles s’allongent également parce que le larynx se développe ; c’est à ce moment qu’apparaît la pomme d’Adam. La conséquence, c’est que la voix de l’adolescent passe d’un registre aigu -la voix d’enfant- à un registre plus grave, qui deviendra la voix d’adulte. L’âge de la mue est très variable : entre le CM2 et la classe de première. En outre, la longueur de cette transition d’une voix à une autre est aussi très variable : de quelques jours à plusieurs mois. En réalité, il n’y a que des cas particuliers en la matière. Enfin, la mue est toujours perceptible dans la voix parlée avant de l’être dans la voix chantée. Je sais à quel moment elle arrive chez mes élèves en faisant l’appel au début du cours, pas en les entendant chanter.

Une période inconfortable

Pendant cette période de mue, et encore un peu après, il y a ce que j’appelle l’« effet tyrolienne ». La voix peut passer brutalement, parfois au milieu d’un mot, du grave à l’aigu. Cette instabilité est due au fait que les cordes vocales ont changé mais que les réflexes qui commandent leurs mouvements sont encore ceux de la voix aiguë. C’est une période inconfortable mais elle dure généralement peu, le temps que les nouveaux réflexes s’installent.

Il y a également un aspect psychologique qui accompagne la mue. Comme tous les autres changements induits par la puberté, il peut être vécu comme un bouleversement et je vois parfois des adolescents la refuser et chercher à conserver leur voix d’enfant. Il y a alors un accompagnement à réaliser, consistant à poser des mots sur le phénomène. L’inviter à parler de ses sensations et des changements qu’il ressent. Lui expliquer qu’il s’agit d’une étape parmi d’autres, qui le conduisent à devenir un homme adulte. En aucun cas le laisser seul avec ses inquiétudes éventuelles et l’inconfort vocal, dont il doit être clairement dit qu’il est transitoire. L’aider à « apprivoiser » sa voix en devenir.

Du point de vue du chant, toutes les possibilités sont offertes. Comme il reste toujours un registre aigu (même dans la période où il y a un « trou » dans le médium), un adolescent qui voudrait continuer à chanter aigu peut travailler sa voix de tête et rester dans le pupitre des altos. C’est comme cela qu’ont commencé un certain nombre de contre-ténors talentueux. Sinon, il est possible de changer de pupitre et, en suivant l’évolution de la voix, passer chez les ténors, puis éventuellement chez les basses… On peut -et c’est même une bonne chose- s’autoriser à passer d’un pupitre à un autre et, en essayant, chercher celui dans lequel on se sent le mieux.

La seule chose importante est de ne pas forcer. Ne pas forcer sur sa voix et ne pas se forcer à rester dans un pupitre inconfortable. Eviter également de passer sans arrêt d’un registre à l’autre.

Enfin, il est important de dire que la mue en elle-même n’est pas l’aboutissement de l’évolution vers la voix de l’adulte. Celle-ci met ensuite plusieurs années à s’affirmer et généralement, ce processus aboutit vers la fin du lycée, qui correspond aussi à la majorité. On obtient alors une voix qui peut être travaillée.

Ne vaudrait-il pas mieux, alors, attendre que la mue soit faite pour chanter ?

Non, au contraire. Après la mue, on ne recommence pas « à zéro » et plus un jeune homme aura chanté avant sa mue, plus le travail sera facile ensuite. Bien sûr, il est possible d’apprendre à chanter à l’âge adulte mais cela sera plus facile pour quelqu’un qui aura commencé avant.

Cela s’explique par le fait que chanter ne consiste pas seulement à se servir de ses cordes vocales. Il faut aussi faire le lien avec l’oreille et le corps. Ce mécanisme, sil est en place, ne change pas avec la mue. Par conséquent, tout ce qui est acquis avant reste acquis pour l’après.

En d’autres termes, même s’il y a une rupture dans la tessiture de la voix, pour tout le reste, il y a une continuité. C’est pourquoi il faut encourager les garçons à chanter à tout âge. Après avoir apprivoisé sa nouvelle voix, l’adolescent qui a mué va se rendre compte qu’elle est belle et pleine de potentiel.