Aujourd’hui, c’est Marie, choriste professionnelle, qui pose une question pour le courrier du chœur : « Je répète en ce moment pour un opéra qui sera filmé et diffusé sur internet. Je dois chanter avec un masque, j’ai du mal à m’y adapter et je ressens de la fatigue vocale en fin de répétition. Comment faire ? »
Réponse d’Elisabeth Péri-Fontaa, ORL, phoniatre et audiophonologiste, membre de la Société Française de Phoniatrie et de la Société Française d’Audiologie.

Avant tout, faisons un petit point sur les intérêts et les effets du masque. Nous savons maintenant que le Covid 19 se transmet par voie aériennes, via les émissions de gouttelettes et les aérosols. Les gouttelettes sont projetées plus ou moins loin et les aérosols finissent, quant à eux, par s’accumuler dans l’atmosphère de la pièce. Le problème posé par le chant, c’est que les gouttelettes sont projetées encore plus loin qu’avec la parole. On le sait parce qu’au début de la pandémie, il y a eu des foyers épidémiques très importants dans des chorales. Pour toutes ces raisons, il est indispensable de porter un masque tout en restant à distance, pour se prémunir des projections de gouttelettes, et d’aérer régulièrement la pièce, pour faire baisser la saturation en aérosols.

Le masque a des effets multiples
Indispensable pour des raisons sanitaires, le port du masque n’est cependant pas sans conséquence. Il provoque un stress, gêne la communication, engendre de la sécheresse vocale et nécessite plus d’efforts respiratoires.
Le stress est dû au fait que le masque nous rappelle sans cesse l’existence de la pandémie, si bien que nous n’avons pas le loisir de l’oublier, ne serait-ce qu’un instant. Ce stress peut être encore plus important pour les chanteurs, qui ont conscience du risque de contaminer leurs collègues ou d’être contaminés eux-mêmes. C’est pourquoi il est souhaitable de faire des répétitions plus courtes et de vraiment prendre le temps d’aérer les salles de répétition.
Par ailleurs, en cachant une partie du visage, le masque gêne la communication. Et si c’est une réalité lorsque l’on se parle, ce n’en est pas moins vrai lorsque l’on chante. Je pense notamment aux chanteurs d’opéra, dont le travail est fortement impacté lorsqu’ils chantent avec un ou plusieurs partenaires. Des séries de petits indices, auxquels on ne fait généralement pas attention mais qui permettent de s’accorder en temps normal, disparaissent à cause du masque. Cela pénalise l’interaction entre les chanteurs, et par là, la qualité du spectacle. Les efforts de concentration faits pour compenser peuvent aussi engendrer plus de fatigue.

Ne pas respirer plus souvent
Plus impactant encore, le masque est un obstacle pour le souffle. Une personne qui n’a pas de pathologie au départ n’a aucun risque d’en développer une à cause du masque. Mais comme il provoque une gêne respiratoire, on peut être tenté de respirer plus souvent. Il faut pourtant veiller à ne pas le faire car cela provoque une hyperventilation. Il en résulte une hypocapnie, c’est à dire une augmentation de l’oxygène dans le sang, et surtout, une baisse du taux de CO2. Et l’hypocapnie, si elle se prolonge, provoque des symptômes gênants tels que des essoufflements, de la fatigue, des difficultés de concentration, des vertiges, des nausées… Ce sont des sensations qui doivent alerter. Il est vraiment important de veiller à ne pas respirer plus souvent.
Ce qu’il faut, c’est trouver un moyen de respirer autrement. Amener autant d’air mais avec un effort différent, qui nécessite une activité musculaire plus intense. C’est un nouveau geste à mettre en place. Marie, vous êtes chanteuse professionnelle donc vous en êtes capable. Mais il faut s’entraîner.

Choisir le bon masque
Matériellement, le masque pose problème parce qu’on a tendance à l’aspirer lorsque l’on inspire et il se colle sur la bouche. Il entrave aussi la projection des lèvres et certains gestes articulatoires. Il existe des supports en silicone qui permettent de tenir le masque éloigné de la bouche. Ils sont confortables pour parler mais, en fonction des personnes, ils ne sont pas forcément utilisables pour chanter. Le mieux est de faire un essai, en choisissant le modèle qui se clipse dans le masque. Si le support ne convient pas, la solution est de choisir un masque de forme « canard », qui reste loin de la bouche.
Le masque gêne aussi la mobilité du visage. Il peut donner l’impression que l’on est bridée dans ses mouvements et fait obstacle à l’ouverture de la bouche. La solution est de choisir un masque adapté au visage et suffisamment grand pour bien couvrir le menton. Il est souhaitable de faire des essais avec différents masques et de choisir un modèle qui reste en place si on ouvre grand la bouche.
Quant à l’émission vocale en elle-même, le masque la modifie mais, paradoxalement, un peu moins pour les chanteurs que pour les non chanteurs. Lorsque l’on chante, on prépare en effet l’émission vocale, donc le résultat est meilleur que pour les non professionnels. Cela étant, il n’en reste pas moins que le masque coupe les fréquences les plus aiguës -autour de 2 000 – 3 000 hertz-, ce qui correspond au « singing formant ». La justesse n’en est pas affectée mais, il y a moins de brillance, la voix est plus mate. Sur ce point, il y a un vrai travail à faire pour compenser : soigner les consonnes, accentuer le travail sur les résonateurs.

Se fier à ses sensations internes
Enfin, et ce point est particulièrement important, le masque perturbe la boucle audio-phonatoire. En temps normal, le chanteur compare en permanence ce qu’il produit avec ce qu’il avait prévu de faire. Et même s’il y a un écart entre ce que l’on entend et le son tel qu’il est émis, l’apprentissage permet de se constituer des points de repère qui tiennent compte de cet écart. Ces points de repère disparaissent avec le masque.
Dans un premier temps, le risque est de compenser cette perturbation en forçant sur sa voix pour s’entendre comme avant. C’est peut-être l’origine de la fatigue vocale que vous ressentez. Il est indispensable de veiller à ne surtout pas forcer et, plus généralement, ne pas essayer de retrouver la même écoute. Il faut, au contraire, s’appuyer sur ses sensations internes. Pour un chanteur, il est déjà fondamental d’être attentif aux sensations phonatoires internes en temps normal. Avec le masque, c’est encore plus important. Et encore plus quand on doit répéter avec un masque mais faire une représentation sans… ce qui induit une perte de repères totale.

Prendre des mesures d’hygiène vocale
Les chanteurs ont l’habitude d’avoir une certaine hygiène vocale. Celle-ci devient encore plus importante car le port du masque a tendance à assécher les muqueuses. Si l’on a la bouche sèche, alors les cordes vocales le sont aussi. Il faut penser à boire régulièrement, si possible une boisson chaude, qui détend les muscles du larynx. Eviter toutefois le café et le thé parce que la caféine est déshydratante. Une tisane est parfaite.
Il faut, encore plus que d’habitude, éviter tout ce qui peut provoquer des reflux gastro-œsophagiens, tels que les boissons gazeuses et certains aliments. En la matière, chaque personne se connaît et sait quels aliments éviter.

Propos recueillis par Emmanuelle Bordon