© Isabelle Théode

Ce courrier du chœur profite du passage de Stéphanie d’Oustrac dans les pages de Trémolo Magazine pour répondre à la question de Romane, élève en premier cycle dans une classe de chant : Quelle est ma voix ? Comment le savoir ?
Réponse de Stéphanie d’Oustrac.

Si on vous dit quel type de voix vous êtes, c’est pour vous faire plaisir. En réalité, il y a beaucoup d’erreurs, parce qu’on veut aller trop vite. Moi je suis passée de soprano léger enfant, à une prof qui m’a dit « Tu peux aller vers le contralto, voix grave (parce que j’avais de beaux graves) parce que tu trouveras plus facilement du travail ». Donc des arguments un peu surprenants. Sauf que moi je n’étais pas prête et ma tête n’était pas prête non plus pour accepter ce type de voix. Ensuite j’ai eu un autre enseignant qui m’a dit « Tu as des aigus faciles, tu es soprano ». Et au bout de trois ans, je craquais mes aigus parce que mon corps ne pouvait pas suivre.
Pour sentir où le corps est capable d’aller, il faut du temps, d’autant plus que quand on est jeune, les muscles sont très souples. Il faut donc être patient et ne pas vouloir trop vite se mettre dans une case pour se rassurer. Au contraire, il est bon d’aller dans les aigus, aller dans les graves, affiner ses perceptions corporelles pour, petit à petit, de manière beaucoup plus intelligente et fine, sentir ce vers quoi notre corps se sent à l’aise. Il faut aussi se demander « Qu’est-ce que j’aime comme répertoire ? Quel est le type de rôle qui me va bien, dans lequel je me sens bien ? » Et puis cela va évoluer car notre corps évolue et notre mental aussi. Notre corps a beaucoup plus de mystères et de capacités qu’on l’imagine donc il ne faut pas l’enfermer.

Essayer, tester

Dans un premier temps, il faut faire des exercices techniques mais aussi aller voir ce qui vous parle le plus. Qu’est-ce qui vous fait résonner d’avantage ? Quand on est jeune, il faut bien sûr se méfier des écritures trop lourdes -Verdi, Wagner- mais on peut quand même essayer. Je pense que quand on respecte son corps, on peut appréhender n’importe quel répertoire. Il faut simplement le faire dans son cadre à soi et non pas plaqué par rapport à une chanteuse qu’on aime bien entendre ou un chanteur qu’on aime, en essayant de copier ; on sera toujours faux là-dedans. Il vaut mieux se demander « Qu’est-ce que je peux faire dans cette musique que j’aime ? » Mais toujours partir de soi-même, en ayant cet espèce d’orgueil, et en même temps d’honnêteté, par rapport à son instrument. Mais ne pas s’enfermer dans une étiquette.

Ecouter son corps

Bien sûr, une femme qui aura une voix de soprano ne va pas pouvoir chanter un répertoire de contralto, mais si elle écoute son corps, elle se rendra compte qu’il ne suit pas. Cela étant, même les sopranos doivent travailler leurs graves, ne serait-ce que pour nourrir l’aigu. C’est en ce sens que je dis qu’il ne faut pas s’enfermer. Il faut éviter de se restreindre à une tessiture. La voix est comme un muscle et de même qu’un sportif, le chanteur a besoin de travailler sa voix dans tous les sens pour garder une certaine agilité et de la souplesse. Même si certaines choses sont naturellement plus faciles que d’autres, la meilleure technique c’est celle où l’on a tout et où l’on travaille un peu tout. Cela implique aussi d’avoir un répertoire diversifié, pour que les muscles ne travaillent pas toujours de la même manière, ce qui ne serait pas très bon.

TM . Depuis quand enseignez-vous ?
SO . J’enseigne au Pôle Supérieur d’Enseignement Musical de Rennes pour la cinquième année. Je le faisais déjà un peu avant mais quand on travaille beaucoup, il est difficile d’avoir un suivi. En ce moment c’est la première fois que j’ai un suivi avec mes élèves. Au début elles étaient quatre, aujourd’hui huit. Je travaille avec une autre enseignante chanteuse, Olga Pitarch, et un phoniatre, dont l’intervention a pour moi été fondamentale dans un travail de techniques corporelles et qui a unifié les contenus enseignés. Les professeurs de chant vont souvent trop vite. Nous essayons de plaquer un résultat vocal sur un corps qui n’est pas encore prêt et ce faisant, nous brusquons le cheminement pour y arriver. Comme notre corps est sympa, il va le faire, mais par quel biais ? Parfois en créant des crispations et, à long terme, ça ne peut pas marcher. La collaboration avec le phoniatre a permis de détricoter tout cela et d’affiner le travail sur le souffle et son lien avec la voix.