Le théâtre de Lorient, occupé depuis un mois.

Depuis un mois et demi, des théâtres sont occupés. Initié à l’Odéon, le mouvement a pris de l’ampleur et concerne maintenant près d’une centaine de lieux de Culture en France. Les revendications, relativement unifiées au niveau national, sont plus vastes que les seules préoccupations des acteurs de la Culture. Elles se concentrent en effet également sur la réforme de l’assurance chômage et sur le sort réservé aux travailleurs précaires en général. Zoom sur le théâtre de Lorient, qui commençait hier son deuxième mois d’occupation.

Prière de porter un masque, de mettre du gel hydroalcoolique sur ses mains et de porter un badge « pour savoir combien de personnes se trouvent dans le bâtiment ». Au théâtre de Lorient (Morbihan), les occupants ont rodé un protocole de sécurité strict. Sur la façade, des banderoles signalent l’occupation et mettent en avant des slogans : « Sans vous, sans voix », « Assurance chômage, non aux décrets Macron », « Intermittents de l’emploi et précaires en lutte ».

Près d’une centaine de théâtres occupés

Depuis maintenant un mois, le théâtre est occupé, par des artistes (musiciens et comédiens, artistes plasticiens) et des techniciens du spectacles, mais aussi par des représentants syndicaux et des professionnels d’autres secteurs, solidaires du mouvement. Les occupants reçoivent en outre le soutien logistique de restaurateurs, de vidéastes, de photographes…

Cette occupation, qui entame ici son deuxième mois, s’inscrit dans le mouvement d’occupation des théâtres débuté au théâtre de l’Odéon le 4 mars dernier. Restée unique au début, cette première initiative parisienne a progressivement fait des émules après la première semaine, et aujourd’hui, ce sont près d’une centaine de théâtres qui sont occupés.

Dans la salle de réunion du théâtre de Lorient, le tableau résume, dans l’ordre, les revendications.

Parmi les instances représentatives impliquées, la Coordination des Intermittents et Précaires (CIP) et la CGT. Quant aux revendications, si elles concernent les professionnels du spectacle, dont certains n’ont pas pu travailler depuis un an, elles se veulent surtout plus larges. La première d’entre elles est en effet, unanimement, le retrait pur et simple de la réforme de l’assurance chômage. Le décret d’application ayant été publié le 30 mars, celle-ci sera applicable à partir du 1er juillet prochain. Or, l’Unédic a publié récemment une étude qui montre que cette réforme impacterait négativement 1,2 million de personnes, en termes de droits supprimés et/ou de montants d’indemnisation en baisse. C’est pourquoi Mathieu Grégoire, sociologue spécialiste de l’assurance-chômage et de la protection sociale à l’université de Paris-Nanterre, la qualifiait de « fin de l’indemnisation chômage » chez notre confrère Médiapart le 15 avril. « Une réforme indécente dans le contexte de crise actuel », s’indignent quant à eux les manifestants, qui ajoutent que les intermittents relevant des annexes 8 et 10 de l’assurance chômage, ils ne sont pas concernés par cette réforme mais qu’ils manifestent par solidarité envers tous les intermittents de l’emploi (saisonniers, guides conférenciers, intérimaires…) et salariés en CDD. Une précarité loin d’être anecdotique : une étude de la Dares (service statistique du ministère du travail) réalisée en 2017 a en effet montré que 87 % des embauches se faisaient en CDD et que ce pourcentage était en hausse constante. « On demande aux salariés de s’adapter à la précarité et dans le même temps on les paupérise, ce n’est pas possible« , pointent les occupants du théâtre.

Une deuxième année blanche

Les professionnels du spectacles revendiquent pour leur part une deuxième année blanche. Pour parer les effets de la crise sanitaire, ils avaient en effet obtenu un prolongement automatique de leurs droits d’août 2020 à août 2021. Mais, cette année blanche étant déjà bien entamée et la crise s’éternisant, ils réclament une deuxième année de report.

Parallèlement, même s’ils n’exigent pas de réouverture immédiate des lieux culturels, les manifestants demandent un échéancier ou, a minima, de la visibilité. « Nous sommes conscients des enjeux sanitaires », insistent-ils, « mais nous voudrions qu’une concertation s’engage avec les professionnels pour une réouverture progressive ». Toutes les salles de spectacle ne sont en effet pas égales devant la réalité sanitaire. Certaines, de grande taille et avec une ventilation efficace, pourraient retrouver une activité quasi normale, avec des jauges réduites et un protocole sanitaire. Il serait donc possible d’envisager une reprise au cas par cas, qui permettrait à une partie au moins des professionnels de retravailler.

Les autres revendications, qui concernent notamment les congés maternité et la révision des conditions pour les primo-accédants à l’intermittence, n’ont pas évolué depuis le début du mouvement (voir notre article du 10 mars dernier). « Des artistes ou techniciens débutants, à qui il ne manquait que quelques heures, au début de la crise sanitaire, pour obtenir le statut d’intermittent, n’ont aujourd’hui aucun droit. Il est donc urgent de revoir à la baisse le nombre d’heures requises pour obtenir ce statut pour la première fois », soulignent les occupants des théâtres. Pour le moment, hormis un déplacement de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot dans les premiers jours, aucune réponse n’a été apportée par le gouvernement.

Développer le mouvement

Grâce à une aide technique bénévole, un studio de télévision a pu être installé dans le théâtre.

Aujourd’hui, le mouvement d’occupation connaît une sorte de statut quo. Hormis au grand théâtre de Bordeaux et à celui de Toulon, il n’y a pas eu d’évacuation. Quelle mairie, quelle préfecture, prendra en effet le risque de ternir son image en envoyant des CRS dans un théâtre ? Pour autant, les occupants ont la volonté de faire évoluer le mouvement. A Lorient, une émission de télévision a été créée. Enregistrée trois fois par semaine et mise en ligne dès le lendemain matin, elle invite des musiciens, organise des duplex avec d’autres lieux occupés et a pour vocation de porter la parole des occupants du théâtre et de porter leurs revendications.

Les occupants du théâtre de Lorient participent également à la coordination de la région Bretagne dont la première réunion a eu lieu le 11 avril. Ils contribuent également au mouvement national des « vendredis de la colère » et prépare un mouvement plus vaste pour le 23 avril. Il reste à voir si le mouvement parvient, comme le souhaitent ses initiateurs, à sortir des théâtres et à mobiliser une plus large part de la population.

En savoir plus : La chaîne du Théâtre de Lorient Occupé

L’émission pilote (Quatre émissions sont en ligne à ce jour en plus du pilote)