Aujourd’hui, Martine pose la question suivante : Est-il raisonnable de chanter encore à 71 ans ? Réponse de Sophie Brissot, chanteuse, professeur de chant, pianiste accompagnatrice au conservatoire de Nice et cheffe de chœur.

Sophie Brissot, chanteuse, professeur de chant, pianiste accompagnatrice au conservatoire de Nice et cheffe de chœur. (Collection personnelle)

Avant tout, le mot « raisonnable » me fait réagir. Raisonnable, bien sûr que ça l’est, tant que l’envie et le plaisir sont là ! Il y a une dizaine d’années, les hasards de la vie et de ma carrière m’ont amenée à quitter la Lorraine, où j’ai grandi et commencé à travailler, pour Nice. J’ai alors découvert une ville dans laquelle les retraités sont nombreux, y compris au conservatoire. Je donne des cours à des retraités en majorité, en individuel ou en tandem, et actuellement, mon élève la plus âgée a 88 ans. Je dirige également un chœur composé uniquement de retraités.

Dans ce contexte, j’ai dû apprendre à m’adapter. Il est tout à fait possible de chanter jusqu’à un âge avancé, à condition de tenir compte des spécificités dues à l’âge de la personne.
Le plaisir avant tout

En premier lieu, c’est le plaisir qui compte. Si chanter vous fait envie, ne vous privez pas, chantez ! Cela ne peut vous faire que du bien, que cela soit au physique ou au moral. Sans compter qu’une chorale, c’est aussi du lien social, de la convivialité… Tout cela se conjugue pour en faire, à tout âge, une activité bénéfique.
Concrètement, il est normal de se poser des questions sur sa santé, sa forme physique et les capacités qui y sont liées. Et il est légitime de se demander si on peut et si ce sera joli. Pour moi, il est très important, et j’y veille, que la personne ne soit pas ridicule, ni pour les autres, ni à ses propres yeux.
Concrètement, cela signifie, par exemple, que je ne vais pas chercher des tessitures impossibles. Pas d’aigus impossibles à réaliser, pas de texte idiot ou totalement décalé avec la personne qui chante. Je cherche le confort vocal et psychologique, en tenant compte des capacités de la personne et de son image. Je vais exclusivement vers le bien être.

Préparer le corps

Avec une personne plus ou moins âgée, il faut prêter une grande attention à la préparation du corps avant de chanter. Je propose donc des exercices parmi lesquels la marche (sur place pour les choristes, quand on manque d’espace), puis des mouvements d’épaules, de tête. Faire des grimaces pour débloquer la mâchoire, les muscles du cou… En bref, je cherche à retrouver ou entretenir la mobilité du corps. A ce stade, le chant est un prétexte ; ce pourrait aussi bien être du yoga. L’étape suivante consiste à travailler sur la respiration. Les personnes âgées vont plus lentement et il faut savoir consacrer du temps à ce travail, qui est aussi une recherche d’apaisement et de détente. Enfin, je vais chercher l’énergie dans le travail sur la sangle abdominale. Rien que cette préparation fait du bien au corps et au moral.

Un répertoire adapté

En matière de répertoire, je demande souvent « Qu’avez-vous envie de chanter ? » En fonction des réponses, je fais des arrangements dans les partitions, pour adapter les pièces à la tessiture de mes élèves ou des choristes et les grands aigus ne sont évidemment pas possibles. J’écris aussi pour les choristes et je fais des arrangements sur mesure, en gardant en tête que l’image de la personne doit être respectée, ainsi que ses possibilités vocales. Ce plaisir qu’ils et elles ont à chanter, je veux le préserver.
Pour cela, l’objectif est de chanter dans sa zone de confort vocal, sachant que celle-ci peut s’élargir avec un travail régulier, même à un âge avancé. La limite se présente lorsqu’il faudrait forcer pour continuer. Il faut à tout prix l’éviter et s’arrêter au moindre signe de fatigue vocale.

Tant que l’envie est là

Pour résumer, je peux dire que chanter est possible jusqu’à la fin de sa vie. Si on a chanté étant jeune, ou tout au long de sa vie, ce sera plus facile, puisque le travail sur le souffle est déjà réalisé. Et même si on perd quelques notes, les habitudes du travail vocal restent acquises. Cela étant, il est tout de même possible de commencer sur le tard ; le travail se fera juste un peu plus lentement.
Je voudrais donc insister auprès de Martine et de toutes celles et ceux qui se posent la question : oui, il est raisonnable de chanter à 71 ans et même beaucoup plus tard que cela. Tant que l’envie est là… et même si elle n’y est pas d’ailleurs. Pendant les différents confinements, un certains nombre de mes élèves âgés ont baissé les bras.

Sophie Brissot dirige plusieurs chorales dans les Alpes Maritimes et fait travailler une trentaine de personnes âgées en solo, ainsi qu’un groupe à Paris. (Collection personnelle)