C’était en plein milieu d’un mois de novembre tout gris : le grand sourire d’Angélique Boudeville, qui nous fait l’honneur d’être la marraine de Trémolo Magazine. Au milieu d’un agenda pourtant très plein, elle m’a reçue dans le petit studio de l’Opéra Bastille où elle travaille. Tout en sirotant un smoothie poire-fenouil, nous avons parlé musique, carrière et bonheur de chanter.

Propos recueillis par Emmanuelle Bordon

Clarinettiste de formation et diplômée d’une maîtrise de musicologie, Angélique commence ses études de chant au conservatoire de Dijon où elle obtient son DEM en 2011. Elle poursuit ensuite au conservatoire supérieur de Florence, avec Leonardo De Lisi, puis en Suisse, où, à l’issue d’une résidence à l’Opéra studio de Berne, elle obtient un master mention excellence, en 2014. De retour à Paris, elle rejoint l’Académie de l’Opéra de Paris en septembre 2017, pour une résidence de deux ans. Tout en se perfectionnant auprès de Mélanie Jackson, son objectif est de se faire connaître, tant du public que des professionnels. En février dernier, elle a obtenu le deuxième prix du concours Voix Nouvelles, ainsi que le prix du public et le prix des opéras Suisses.

Trémolo Magazine . A quoi ressemble votre quotidien ?

Angélique Boudeville . Ma journée débute entre 10 et 11 h, par un échauffement du corps et de la voix. Vers 11 h, le travail sur partition commence. Le but peut être autant d’apprendre des airs, des rôles, que d’améliorer la diction pour avancer. Par exemple, je sais que lorsque je travaille sur mes voyelles, je gagne du temps pour la suite1. Au quotidien, j’essaye de maintenir un niveau de travail régulier, tous les jours… sauf le dimanche. Ensuite, il y a parfois des concerts et, dans ce cas, il y a des répétitions sur scène ou des représentations, dans l’après-midi ou en soirée. Ou bien c’est moi qui vais assister aux représentations des autres. Ma journée dure souvent une douzaine d’heures, voire plus.

L’Académie de l’Opéra de Paris facilite ce travail quotidien. C’est une cellule professionnalisante détachée de l’Opéra, pour des jeunes artistes qui veulent travailler du répertoire et monter des œuvres. Cette structure n’est pas réservée aux chanteurs. Elle est ouverte aux instrumentistes, ainsi qu’aux artisans dont le travail intéresse la scène (costumiers, menuisiers, perruquiers…). Cela permet une transmission à la jeune génération des savoirs-faire portés par les professionnels aguerris. Les pianistes qui nous accompagnent, par exemple, sont les mêmes que ceux qui travaillent avec les plus grands. Il y a une transmission très importante par leur intermédiaire. J’ai aussi accès à des professeurs de diction dans les langues utilisées par l’art lyrique (en allemand, en italien…). Nous avons une scène réservée et notre propre production, dont le public est friand.

Ces deux années à l’Académie sont aussi une période privilégiée pour se faire connaître et rayonner. Et pour moi, comme j’ai fait une partie de ma formation à l’étranger, il est important de revenir à Paris et de me faire connaître dans mon pays.

TM . Pourquoi avoir choisi le chant ?

AB . Lorsque j’ai commencé, à 21 ans, c’était en moi depuis très longtemps. J’ai fait des études de musicologie et je me destinais à enseigner la musique en collège ou en lycée. Mais j’ai connu une période de ma vie difficile, qui m’a amenée à faire un travail sur moi. C’était une phase d’introspection, de rencontre avec moi-même. J’aimais déjà beaucoup l’opéra, qui a été une catharsis, un moyen de vivre des émotions. Et à un moment, est venue l’envie de donner à la hauteur de ce que j’avais reçu.

Le chant a été l’occasion de découvrir un matériau qui me plaisait : ma voix. C’est aussi un moyen de travailler sur soi. Par exemple, accepter sa voix, c’est prendre de la place. Au final, le chant m’a permis de me connaître moi, et maintenant, le moi m’apprend des choses sur le chant. Et si on le veut bien, c’est la porte ouverte à plein de belles choses.

Enfin, la connaissance de soi et la culture sont importantes pour nourrir l’interprétation. Pour être une bonne chanteuse, ce n’est pas suffisant d’avoir une belle voix. Il faut aussi avoir quelque chose à dire.

TM . Dans votre famille, il y a des musiciens ? Vous avez été encouragée ?

AB . Il n’y a pas de musicien dans ma famille. Mes parents sont plutôt issus du monde ouvrier, pas du tout d’un milieu artistique. Mais ils m’ont fait confiance et maintenant, ils voient, ils entendent les résultats obtenus. De mon côté, j’ai engagé encore plus d’efforts, pour ne pas les décevoir.

TM . Comment est-ce qu’on aborde un concours comme Voix Nouvelles ?

AB . C’est un concours de haut niveau donc l’enjeu est fort et il y a beaucoup de travail. Mais si on y va pour gagner, ça ne marche pas. Donc je me suis concentrée sur l’interprétation, sur le bonheur de chanter et l’envie de donner du plaisir au public. J’ai essayé d’oublier le concours et de me dire « la musique d’abord et advienne que pourra ». Et puis sur scène, même si le trac est fort, on se rend compte que le public est presque plus stressé que nous et on se retrouve à faire des choses pour le rassurer.

TM . Et que fait-on après ? Qu’est-ce que ça change d’être distinguée dans un tel concours ?

AB . C’est un plus en termes de notoriété mais cela ne fait pas tout. Une carrière, ça se mène ; c’est du travail mais aussi beaucoup d’administratif et d’organisation. Il faut également être informée de l’actualité des productions lyriques. Je me suis décidée à rejoindre une agence artistique, celle de Thérèse Cédelle, qui travaille déjà avec des grands chanteurs comme Natalie Dessay, Laurent Naouri ou Karine Deshayes. Elle m’aide et me représente.

Il me semble important d’arriver à trouver un équilibre : avoir une certaine assurance, sans pour autant être imbue de soi-même, progresser dans la connaissance de soi pour progresser dans son art. Arriver à être content de son travail, sans se rajouter de pression avec le jugement des autres, tout en restant à l’écoute de ce qu’ils peuvent dire. C’est aussi le moment d’investir, dans des cours de langue, dans des déplacements, dans des concours.

La voix est un miroir de l’âme ; on ne peut pas donner le meilleur si l’âme est blessée. Il est donc fondamental d’apprendre à connaître ses limites. Moi, j’ai appris en flirtant avec elles… mais c’est un peu dangereux. J’y fais plus attention maintenant. Il est important de bien s’entourer, dans sa vie professionnelle, mais aussi dans le privé. Et puis prendre soin de soi, physiquement et psychologiquement. Mon truc, c’est le Qi Gong, pour développer la capacité respiratoire et musculaire. Mais aussi de retourner dès que possible en Bourgogne, où sont mes attaches.

TM . Votre période au sein de l’Académie se termine en septembre 2019. Et après ?

AB . Ce sera peut-être un peu plus calme mais… ce n’est pas certain. J’espère pouvoir donner des concerts, chanter dans des opéras. Je dois m’occuper de mon répertoire, être prête pour des remplacements. Et en attendant, donner des concerts, et puis vivre, tout simplement.

TM . Comment savez-vous quels rôles travailler ?

AB . Selon la voix que l’on a et le répertoire en vogue, on peut supposer quels rôles vont avoir besoin d’être pourvus. Les agents savent ce qui va se faire, quels opéras vont être montés et c’est aussi leur rôle de nous tenir au courant. Cela permet de se tenir prête.

TM . Quels sont les rôles qui vous font rêver ?

AB . Ils sont nombreux. Parmi ceux qui correspondent à ma voix, il y a la Traviata et Tosca, des rôles mythiques, qui font rêver toutes les chanteuses. Il y a aussi Madame Butterfly, la comtesse des Noces de Figaro, dont j’ai déjà interprété des extraits à l’Opéra Garnier, et Desdemone, dans Otello.

TM . Quel est votre programme dans les mois à venir ?

AB . J’ai du travail en prévision d’auditions, des concerts programmés à l’Opéra Bastille. Egalement à l’Opéra Garnier en janvier, où je chanterai un air et un duo au cours d’un concert de gala. En février, je donnerai un récital à l’Opéra de Bordeaux lors d’un midi musical. Ensuite, de mars à mai, je serai en tournée avec Die Fledermauss (La chauve-souris), une opérette de Johann Strauss, dans une version de chambre, avec d’autres musiciens de l’Académie, les musiciens de l’orchestre-atelier Ostinato et le chœur Unikanti. En juin, j’enregistrerai un concert avec Radio classique. J’ai aussi réussi une audition qui devrait m’amener à travailler au Liceu de Barcelone dans une ou deux saisons.

Pour en savoir plus : Le site personnel d’Angélique et son compte Instagram.

Ses prochains concerts : à l’Opéra Garnier, Paris (16 janvier), à l’Opéra national de Bordeaux (6 février), dans La chauve-souris de Johann Strauss (toutes les dates de mars à mai).

Pour voir toute la finale du concours Voix Nouvelles.

Angélique interprète le personnage de Micaela : « Je dis que rien ne m’épouvante », un air tiré de Carmen, de Georges Bizet.

  1. En confidence, Angélique dit que la voyelle qui lui pose le plus de problème, c’est le A. Beaucoup d’apprenties-chanteuses devraient se sentir un peu moins seules…