Depuis le mois de mars dernier, les festivals, concerts et représentations théâtrales ont subi, en raison de la pandémie de Covid 19, de très nombreuses annulations. C’est donc avec beaucoup d’espoir que les salles de spectacles espéraient une réouverture le 15 décembre. Dans ce contexte, la décision du premier ministre de finalement reporter sine die cette échéance a provoqué colère et incompréhension chez les acteurs de la culture, qui crient leur désespoir.

Une fausse joie. Les acteurs de la culture -artistes, programmateurs, théâtres- comptaient sur une réouverture des salles de spectacle le 15 décembre. Et chacune d’entre elles avait préparé un programme de reprise ou, tout simplement, s’apprêtait à donner les représentations prévues. L’annonce du premier ministre Jean Castex de reporter cette réouverture a donc suscité la stupeur et la colère.

Illustration : capture d’écran

Déjà, en mars dernier, Jean-Noël Tronc, directeur de la Sacem, dénonçait une « double peine » subie par de nombreux artistes. Ceux-ci ayant bien souvent des activités multiples, ils subissent une perte de revenus immédiate due à l’annulation des événements, mais aussi un manque à gagner à plus ou moins long terme, par la perte massive des droits d’auteur. Neuf mois plus tard, cette analyse reste pertinente et Jean-Noël Tronc annonce, pour 2021, une perte sèche de 200 millions d’euros pour les auteurs, soit la moitié des droits redistribués chaque année par la Sacem, à environ 90 000 ayants-droits. Parmi les conséquences directes, l’annonce de la suppression de 150 postes par cette même Sacem, faite le 30 novembre par son directeur.

Des mesures insuffisantes

Certes, l’Urssaf a reporté les appels à cotisations du dernier trimestre 2020 pour les artistes auteurs, tout comme elle l’a fait pour de nombreuses entreprises. Mais il ne s’agit que d’un report, pas d’une annulation. Certes, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot a annoncé qu’elle demandait 35 millions d’euros supplémentaires pour soutenir le secteur culturel, une somme qui s’ajoutera aux 7,5 milliards d’euros déjà provisionnés dans ce but. Un montant que Malika Seguineau, directrice générale du Prodiss (syndicat national du spectacle musical et de variété dans le privé), juge insuffisant, « alors que le spectacle vivant va perdre 84 % de son chiffre d’affaire en 2020 », souligne-t-elle. En effet, cette somme, une fois répartie entre les différents secteurs culturels (musique, cinéma théâtre…), se révèle nettement inférieure aux pertes engendrées par la mise à l’arrêt des activités.

Dans ce contexte, l’annonce du report de la réouverture des salles de spectacles a provoqué la colère des artistes. Au désarroi dû à l’impossibilité ou la quasi impossibilité d’exercer leur métier s’ajoute, pour ces professionnels souvent précaires et déjà financièrement fragiles en temps normal, l’incertitude profonde créée par cette situation. De quoi remettre en question la carrière de plus d’un artiste. C’est ainsi qu’au Royaume Uni, par exemple, le chancelier de l’échiquier, Rishi Sunak, a suggéré aux artistes de changer de métier, déclenchant un tollé dans la profession. Au Canada, un sondage publié fin octobre a montré que 57 % des artistes envisageaient véritablement un changement de carrière. Un tel sondage n’existe pas en France à ce jour mais il est probable qu’un arrêt des activités musicales aussi long modifiera, à terme, le paysage musical. C’est en tout cas une crainte qui a été exprimée au cours des nombreuses manifestations qui ont eu lieu dans l’hexagone au cours de la semaine passée -samedi 12 et mardi 15 décembre notamment. « On va mourir et même pas sur scène », ont crié certains manifestants.

Inaction et incohérence

Au cours de ces manifestations, mais aussi sur les réseaux sociaux ou par leur art, les artistes ont dénoncé l’inaction du gouvernement. Rappelant le poids économique du secteur culturel, 2,3 % du PIB (chiffre France créative et EY de 2018), soit l’équivalent de l’industrie agroalimentaire et presque le double de celle de l’automobile, ils ont réclamé de la clarté dans les plans de reprise des activités. Des incohérences ont également été dénoncées. En effet, les artistes ne comprennent pas pourquoi les centres commerciaux peuvent accueillir du public, pendant que les théâtres ne le peuvent pas, alors qu’ils ont mis en place les protocoles sanitaires exigés.

Illustration : capture d’écran

Sur les réseaux sociaux, plusieurs hastag ont été lancés -#SauvonsLaCulture, #CultureEssentielle, #EtOnRemetLeSon- et sont repris par de nombreux artistes. Le chanteur-slameur Grand Corps Malade a même exprimé son point de vue par le biais d’une chanson créée en deux semaines, « Pas essentiel » ; un titre ironique.

Les artistes lyriques ne sont quant à eux pas en reste. Julie Fuchs, par exemple, a exprimé son incompréhension sur Twitter, fustigeant « ces trains, ces métros, ces magasin tous bondés » alors que les théâtres restent fermés. « Je n’aime vraiment pas du tout cette impression de plus en plus concrète que la Culture n’est pas considérées comme elle le devrait : Essentielle », a-t-elle conclu.

Enfin, plusieurs associations professionnelles ont décidé de saisir le Conseil d’État en référé-liberté pour obtenir la réouverture des salles. Celui-ci sera examiné lundi et la décision sera ensuite rendue sous 48 heures. En attendant, d’autres manifestations sont prévues.